Lucien OTT fait partie de cette génération d’artistes-peintres de la fin du 19e siècle pour qui le dessin constitua le mode d’expression par excellence. L’exigence de travailler sur le vivant, la nécessité de se rendre sur le motif conduisaient ces artistes à délivrer directement leurs impressions sur le papier, par le crayon, l’aquarelle, la plume ou le pastel. Ces techniques, Ott apprendra à les maîtriser très vite, passant de l’une à l’autre avec beaucoup de liberté et de dextérité. De même qu’il se familiarisera avec celle de la gravure, suivant l’enseignement de son ami le graveur et historien d’art Loys Delteil.
C’est très tôt que notre artiste est attiré par un pays alors très en vogue, la Bretagne. Paul Gauguin et Émile Bernard y ont renouvelle l’art des modernes en séjournant à Pont-Aven de 1886 à 1889. Ott se rend en Bretagne dès 1889, puis y retourne à la toute fin du siècle de 1898 à 1900. Il y côtoie Henri Rivière dont il partage les affinités et l’attrait qu’exerce sur eux le Japonisme. Les aquarelles et les pastels qu’il en rapporte nous projettent dans les couleurs franches et claires de ces paysages qui délimitent terre et mer avec une grande limpidité, une douce sérénité. Ses lieux de prédilection se situent entre Loguivy et Paimpol, au long d’une côte qui baigne dans une lumière éclatante, vivifiante.
De retour à Paris il commence alors à exposer au Salon des Indépendants de 1901. Il y obtient quelques succès : les » bretonneries » plaisent, et ce seront dix œuvres qu’il exposera l’année suivante. Par la suite il continuera à participer régulièrement au Salon jusqu’en 1914. Parisien, ce sont les bords de Seine et les jardins de la Capitale qui l’attirent et où il s’installe pour dessiner la vie paisible qui y règne : un jardinier au travail, un homme dessinant (lui, peut-être), des enfants qui jouent, qu’il traite à la plume et à l’aquarelle comme pour un paysage campagnard.
Cependant ces paysages de Bretagne, ces vues de Paris ne constituent pas les seules sources d’inspiration de Lucien Ott. Après un passage par la nature morte qui, par son pastel impressionniste, n’est pas sans faire songer à Émile Schuffenecker, il se tourne vers le portrait. Sa palette se fait alors plus sombre, plus tourmentée, à la manière d’un Bonnard ou d’un Vuillard dont il se réclame avec force. Il dessine sa femme, ses enfants, ses proches, unissant vigueur et tendresse, au plus près de ces êtres chers que son crayon nous restitue avec passion. Ott, si délicat dans ses paysages, trouve des accents parfois fort rudes pour décrire ces visages comme si, à son talent de dessinateur, il eut ajouté la dimension humaine et douloureuse d’un parti pris à la Van Gogh.
La guerre éclate ; il part en 1916 sans abandonner derrière lui son art, mais dessinant sans relâche cette vie suspendue, » sa nouvelle maison » comme il le note avec ironie, ses amis endormis, le visage de nombre de ses camarades qu’il fait poser » pour la postérité » : longue galerie de portraits émouvants et étranges qu’il nous lègue, ainsi qu’une armée de combattants immobiles. Lucien Ott meurt en 1927. De 1918 à cette date il ne produira plus que quelques aquarelles, des vues de Villeneuve-Saint-Georges où il s’est retiré, des paysages de campagne. La galerie Bernheim organisera en cette année 1929 une rétrospective de son œuvre.
C’est à nous qu’il revient désormais de faire découvrir au public cet artiste de talent. Il est particulièrement réjouissant de pouvoir rencontrer encore à l’heure actuelle un ensemble si cohérent et varié, un nombre si important d’œuvres inédites. Nous espérons que le choix que nous en avons extrait satisfaire le goût des amateurs de dessins, et que Lucien Ott saura les toucher par sa sensibilité, retrouvant ainsi sa place au milieu de ses amis impressionnistes.